« La peste se révèle surtout par des manques et des vides laissés dans les archives. L’histoire devine la trace de son sillage.
Le plus surprenant c’est qu’après ce marasme, la vie a repris comme si rien n’avait eu lieu. C’est une énigme. Pourquoi la peste, cette catastrophe extraordinaire, a changé si peu de chose dans les structures sociales, dans l’imaginaire, dans la manière de penser, d’agir et de croire ?
Il est aujourd’hui difficile de comprendre comment la société a résisté à un tel chaos. »
– Patrick Boucheron (historien)
Issue de la série documentaire de Patrick Boucheron et de Denis van Waerebeke (France 2017, 26mn ARTE) https://www.youtube.com/watch?v=cEeh23R7Ag8 (et retranscription ci-après)
Les rares récits contemporains de la grande peste décrivent des scènes d’apocalypses.
Le plus beau et le plus terrifiant : Le Decameron écrit par Bocasse en 1349, où il écrit la manière d’échapper à la peste à travers des jeunes florentins qui se sont réfugiés à la campagne.
Recherche des causes
Dès lors qu’une catastrophe de cette ampleur advient, on va en chercher les causes au ciel.
La première cause recherchée est évidemment religieuse. Si Dieu inflige une aussi abominable catastrophe, c’est qu’il a quelque chose de terrible à reprocher. Nous savons que la première réaction dans la société médiévale face à l’épidémie est d’organiser des processions pour éloigner les démons et expier les pêchers. Cependant ces processions n’éloignent pas la peste mais favorise la contagion.
D’autres explications sont alors recherchées. Mais cette fois parmi les hommes en accusant les nobles, les lépreux, les juifs,… on cherche un bouc émissaire. Une rumeur se répand disant que les juifs ne meurent pas de la peste (c’est évidemment inexact) et s’ils ne meurent pas c’est qu’ils l’ont organisé. Il va s’en suivre pogroms et massacres de juifs dans de grandes villes (Balles,.. Strasbourg alors que la peste n’était même pas aux portes de la ville).
Dans la communauté scientifique, ils vont essayer de comprendre les mécanismes : Astrologues, par l’analyse des configurations astrales.
Médecins, par l’observation des phénomènes (dans un étrange mélange de rationalité et de croyances religieuses). Ils vont tenter de comprendre comment le mal se propage : par l’air et le contact (contagion) et réalisent que pour lutter contre la peste c’est d’empêcher la circulation des marchandises et des hommes.
La peste endémique pendant 3 siècles
Le peste reviendra pendant plus de 3 siècles de manière endémique. On vit alors au rythme de ces résurgences. Notamment au XVe siècle qui se montre particulièrement meurtrière.
La mort noire est devenue un phénomène de longue durée, installée de manière permanente dans le paysage et les mentalités.
Elle marque de son empreinte, la pierre des tombeaux. La danse macabre représente l’égalité de tous face à la mort. Ce qui est terrible pour le Moyen Âge qui avait alors une inégalité sociale dont on a plus idée aujourd’hui. L’écart de l’espérance de vie entre un paysan et un aristocrate est énorme. Là avec la peste, c’est la faucheuse ! Tous sont emportés : le roi, la jeune fille,… les puissants et les humbles.
Le médecin de la Peste
A partir du XVIIe siècle (1619) : masque au bec creux remplit d’un mélange de camphre, thym, clous de girofle, myrrhe, mélisse,… et pétale de rose, avec un long manteau recouvert de cire parfumée, une culotte reliée à des bottes, une chemise dans ladite culotte, un chapeau, des gants en cuir de chèvre et une tige pour toucher (ou repousser) les victimes.
Un mystère pendant +de 500 ans
Quand la peste quitte l’Europe par une dernière épidémie à Marseille en 1722, on ne connait toujours pas sa cause véritable. Il faut attendre 1894 et la troisième grande pandémie en Asie, qui fait 12 millions de mort, pour que l’énigme commence à se résoudre.
En 1894 – A Hong Kong, un médecin, Alexandre Yersin (1863-1943), poursuivant les travaux de Louis Pasteur, découvre finalement le bacille de la peste qui prendra le nom de son découvreur : Yersinia Pesti.
En 1898 – Quelques années plus tard, Paul Louis Simon (1858-1947) établit que le microbe est transporté par une puce, et précisément la puce du rat. Mais n’ayant pu établir la présence de rats pendant l’an 542 (la peste de Jutinien), l’hypothèse de la puce du rat est écartée pendant encore plusieurs décennies.
Ce n’est qu’un siècle plus tard, avec l’étude de l’archéozoologie (étude de restes osseux des animaux), représentée en France par Frédérique Audouin-Rouzeau (1957- ) que sont enfin réunis tous les élément du puzzle. Son livre : « Les chemins de la peste : Le rat, la puce et l’homme » (Ed. Tallendier, 2007)
Ainsi ce serait lui, le Ratus Ratus, le responsable de la peste ? Non mais sa puce. C’est lorsque tous les rats sont morts que la puce affamée et contagieuse s’attaque aux êtres humains.
Pourquoi la puce du rat ?
Parmi les 1500 espèces de puces, la puce du rat présente une petite singularité que seuls les microscopes électroniques ont pu révéler. Au niveau de leur proventricule, des épines (quelques millièmes de mm) filtrent le sang aspiré et s’il est infecté (par la peste notamment), il reste bloqué au niveau de ces épines du proventricule. Ce qui protège la puce de la maladie mais transmet l’infection à son hôte le rat jusqu’à ce qu’il en succombe. Ensuite elle trouvera un autre hôte à qui elle transmettra aussi la maladie. C’est ainsi que ces épines infectées permettent à la peste de voyager de la puce au rat et du rat à l’homme.
La peste sur les routes du commerce international
Les lignes de la circulation de la peste dessine les routes du commerce international. Les puces se logent dans le ballot des marchands…
Grâce au progrès de l’archéologie funéraire et de la biologie moléculaire on peut repérer les routes de la peste du Moyen Âge : ce sont les lignes de force du commerce Eurasie sillonnées de routes terrestres, fluviales et maritimes.


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ChPL – 10oct2020
Source : Documentaire « La peste noire, quand l’histoire fait date 1347 » de Patrick Boucheron, historien spécialiste du Moyen Âge et de la Renaissance et de Denis van Waerebeke réalisateur (France 2017, 26mn ARTE)
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